Subir un déplacement dans le temps occasionnait de nombreux désagréments.

Déjà, on pouvait lister toutes les conséquences génériques prévisibles : malaise constant provoqué par un sentiment persistant de ne pas appartenir au monde dans lequel on se trouve, manque d'information provoquant de nombreuses bévues, perte de contact avec les individus restés dans l'époque d'origine, perte de toutes les possessions matérielles en dehors de celles portées lors du transfert, interruption des projets en cours, incapacité de se projeter dans l'avenir, angoisse tenaillante quant à la possibilité de retourner un jour dans son propre monde, etc.

Ensuite, il y avait les inconvénients liés à ce transfert en particulier : se retrouver dans un monde en pleine guerre, être coincé dans une école placée sous le régime de la terreur, voir sa vie mise en danger par le simple fait d'être là mais être dans l'incapacité de s'en éloigner, etc.

Enfin, il fallait également gérer les conséquences plus personnelles : pour Severus, se retrouver dans un monde où la moitié des élèves de Poudlard semblaient être des Potter, des Black ou des Weasley était pour le moins éprouvant, apprendre que Lily épouserait son tourmenteur était un déchirement, observer la manière dont le monde sorcier avait tourné était consternant, constater la manière dont lui-même avait tourné était un tourment.

Cependant, au milieu de toutes ces sources de préoccupation ou de contrariété, Severus réalisa que celle qui lui pesait le plus était une de celles qui n'aurait dû être qu'une préoccupation mineure : la perte de ses possessions matérielles. Il ne s'était pourtant jamais considéré comme quelqu'un de matérialiste, considérant que la seule richesse dont un homme puisse se prévaloir était l'étendue de ses capacités intellectuelles. En plus, ce n'est pas comme s'il avait perdu beaucoup, étant l'élève le plus pauvre parmi les Serpentard - chose qu'on lui avait suffisamment fait remarquer pour qu'il n'ait aucun doute sur le sujet. Mais le peu qu'il possédait, il l'avait gagné par lui-même, et il y tenait : des ingrédients de potions rares, des potions raffinées par ses soins, de vieux grimoires de magie noire ou d'histoire, une broche en argent représentant un serpent et constituant le seul legs de sa mère, un album contenant quelques rares photos, une robe de sorcier de qualité ayant nécessité un an de travail acharné pour pouvoir l'acheter et qu'il n'avait même pas encore eu l'occasion de porter... tout ça était perdu, et Severus était convaincu qu'il ne les retrouverait jamais.

Cela lui pesait, mais le Serpentard n'était pas du genre à se permettre de s'attarder sur ce qu'il ne pouvait changer. Alors il tâchait d'en faire rapidement le deuil, et de se préoccuper plutôt de la manière dont il pourrait remplacer ce qui pourrait être remplacé.

C'est pourquoi à la première occasion il se rendit à Pré-au-Lard, parmi tous les autres élèves désireux de visiter le village ce week-end là, pour visiter la boutique de potions et voir comment s'arranger avec ce que le peu de monnaie qu'il avait lui permettrait d'acheter. Il espérait également réussir à négocier avec le propriétaire de la boutique, car s'il parvenait à obtenir un accord dans lequel il échangerait des potions préparées contre de l'argent ou des ingrédients frais, il serait en bonne voie pour refaire ses stocks. Néanmoins, il préférait discuter de cela en privé, et deux autres clients étant présents pour le moment, Severus se contenta dans l'intervalle de faire un tour de la boutique pour évaluer les ingrédients présents, examinant avec attention chacune des jarres.

Alors que Severus était en train d'examiner des glandes de leprechaun situées tout au fond d'un présentoir, il entendit quelqu'un entrer peu discrètement dans le magasin. Il réprima un soupir agacé. Ce n'était décidément pas son jour : pourquoi y avait-il tant de clients dans cette boutique généralement peu fréquentée précisément quand il avait besoin de parler au gérant en privé ?

Il aurait poursuivi ses récriminations mentales sans doute encore un petit moment si la personne venant d'entrer n'avait pas poursuivi sur sa lancée, de manière toujours aussi pressée, pour débouler brusquement sur lui. Manquant de temps pour réagir, il fut bousculé, et penché tel qu'il l'était pour pouvoir observer le fond du rayon sans rien touché, il fut déséquilibré. Il resta suffisamment conscient de son environnement pour ne pas chercher à s'agripper à un rayon au risque d'endommager des ingrédients, mais sa chute en fut d'autant plus lourde.

La douleur lui arracha une grimace avant qu'il ne parvienne à contrôler son expression, et il leva vers la responsable de cet incident un regard courroucé. Il dissimula l'intensité de sa colère, mais se comporta de manière à exposer clairement ce qu'il pensait de la nouvelle venue : il refusa la main qu'elle lui tendait et se releva par lui-même, avant de lui accorder de nouveau un regard noir.

Il s'épousseta ostensiblement et ne chercha pas à se montrer gracieux, réprimandant l'inconnue sur un ton froid sans tenir compte du fait qu'elle était son aînée et qu'il n'était sans doute à ses yeux qu'un gamin même pas diplômé.

"A l'avenir, veuillez faire plus attention. Ou mieux, évitez de fréquenter les magasins de potions. Ce sont des lieux trop dangereux pour s'y comporter de manière aussi irresponsable, un magasin de quidditch vous correspondrait sans doute mieux."

Il pinça les lèvres avec dédain, et se détourna, peu désireux de rester à proximité de cette ignare. Il devait déjà supporter la stupidité de ses condisciples à Poudlard, il ne tenait pas à devoir encore en subir lors de ses rares sorties à Pré-au-Lard.