Soixante-douze heures. Cela ne faisait même pas soixante-douze heures, et Severus se sentait devenir cinglé. Or, s'il y avait une chose à laquelle il tenait plus que tout, c'était bien ses facultés mentales, il ne pouvait supporter la perspective de les voir se dégrader après s'être donné tant de mal pour les affiner. Elles représentaient sa seule réelle qualité, sa seule légitime source de fierté. Aussi était-il impératif qu'il prenne les mesures nécessaires pour les préserver.

En principe, cela n'avait rien de trop compliqué : il lui suffisait de s'isoler pendant quelques heures et de profiter du calme pour trier ses pensées, de les mettre à distance et de les ranger au sein de son système d'occlumancie, et d'ainsi regagner une parfaite maîtrise de ses émotions. Rien de bien compliqué, en effet. Sauf que là, depuis sa projection de vingt ans dans le futur à cause de l'inconscience de certains Gryffondor qu'il ne prendrait même pas la peine de nommer, il lui avait été absolument impossible de s'isoler. Où qu'il aille, des regards le suivaient avec insistance, certains emplis d'interrogations informulées, mais la plupart emplis de ressentiment et d'accusations muettes. s'il cherchait à s'éloigner seul, il y avait toujours un groupe ou un autre pour le suivre à la trace, apparemment pour veiller à ce qu'il ne prépare pas un mauvais tour. Franchement, quelle idée ! A ce compte, c'était plutôt les Maraudeurs qu'il conviendrait de surveiller, c'était eux les nuisibles incontestés ! Mais bon, si le monde était juste et cohérent, ça se saurait. Bon gré mal gré, le Serpentard devait bien faire son parti de cet état de faits. Heureusement, son regard noir avait jusqu'à présent dissuadé quiconque de s'approcher, mais Severus savait que cela ne durerait pas. Il se sentait pourtant déjà suffisamment sur les nerfs comme ça, et il craignait d'exploser s'il ne trouvait pas rapidement un moyen d'évacuer la frustration qu'il accumulait.

C'est pourquoi ce matin-là il était sorti dès la levée du couvre-feu, se désillusionnant pour que son départ ne soit pas remarqué, et avait pris la direction de l'extérieur du château au lieu de se diriger dans la grande salle pour prendre son petit déjeuner. Une fois dehors, il avait traversé le parc en direction du lac, marchant comme à son habitude à grandes enjambées. L'air était frais, mais pas autant qu'il aurait pu l'être en ce début du mois de septembre. La journée promettait d'être belle. Enfin, belle au sens communément accepté du terme, lui-même préférait les journées moins ensoleillées. Mais il n'avait pas pour habitude de se plaindre du temps, après tout, lorsque la météo ne lui convenait pas il lui suffisait de rester à l'intérieur ou d'utiliser des charmes de régulation climatique quand il sortait. Et puis avec des journées comme celles-ci, il y aurait probablement une belle cueillette de saphionacées à la prochaine nouvelle lune, ce dont il ne pouvait que se réjouir, il avait en tête plusieurs potions expérimentales qui en utilisaient.

Une fois arrivé près de la falaise, il repéra le sentier qu'il avait coutume d'utiliser pour descendre directement auprès du lac. Il était assez abrupt et caillouteux, et généralement considéré comme trop dangereux, les pierres roulant sous les pieds risquant d'entraîner la chute de ceux qui s'y risquaient. Mais Severus avait l'habitude de l'emprunter, et il était prudent. Il avait pris la précaution d'apprendre des sortilèges qui pourraient l'aider à se tirer d'un mauvais pas le cas échéant. Et s'il se blessait, pour peu qu'il ne perde pas connaissance, il aurait l'occasion de démontrer à quel point il avait progressé dans sa maîtrise des sorts de soin.

Toutes ces précautions n'eurent toutefois pas à être concrétisées, car le Serpentard arriva au bord du lac sans encombre. Par automatisme, il se dirigea vers le creux de la falaise où il laissait toujours une réserve de galets à ricochets, pour s'arrêter interloqué en constatant qu'aucune pierre ne s'y trouvait. Avait-il vidé la réserve avant de terminer sa scolarité ? ou bien un autre élève était-il venu à ce même endroit après lui et les avait-il utilisées ? Il n'avait aucun moyen de le déterminer. Et c'était somme toute sans grande importance, il s'était juste senti surpris. Il se mit donc à chercher des galets à même le sol, ne s'arrêtant qu'après en avoir trouvé une quinzaine. Il alla alors s'installer sur le rocher qui s'enfonçait le plus loin dans l'eau, et commença à lancer ses pierres, prenant son temps avant chacune, sous prétexte d'étudier son angle de visée pour maximiser les ricochets, mais en réalité, il pouvait bien se l'avouer, simplement pour profiter du moment. Le clapotement de l'eau du lac était particulièrement reposant. C'était définitivement la méthode qu'il préférait pour faire le vide dans son esprit avant de pratiquer l'occlumancie.

Il en était à la huitième ou neuvième pierre et commençait déjà à se sentir rasséréné quand il entendit le bruit d'un petit éboulis derrière lui. Aussitôt, il passa d'un état de relaxation à un état d'alerte. Il fit glisser sa baguette dans sa main et se redressa, se plaçant derrière une irrégularité du rocher pour bénéficier d'un abri partiel, prêt à agir si cela s'avérait nécessaire. Levant les yeux en direction du sentier, il chercha à identifier la personne qui approchait.

Severus, déjà tendu en préparation de l'irruption d'un inconnu potentiellement hostile, se crispa encore plus en apercevant l'intrus. Cette allure souple et nonchalante je-suis-un-dieu-du-quidditch, cette tignasse savamment décoiffée je-sors-tout-juste-d'une-nuit-torride, ces lunettes rondes n'oubliez-pas-que-je-suis-génialement-brillant, cette cigarette ostensiblement fumée je-suis-un-rebelle-en-plus-d'être-super-sexy... Potter. Évidemment. Précisément le jour où il aspirait à la sérénité et s'isolait afin de clarifier son esprit, il fallait que ce soit Potter qui tombe sur lui ! Il était maudit. Il ne voyait pas d'autre explication, son karma était vraiment trop pourri, il avait dû tuer des bébés phoques dans une précédente vie.

Mais l'instant d'après, il se ravisa. Autant l'allure générale du nouveau venu ressemblait fortement à celle de Potter, autant il apparaissait clairement après une observation moins superficielle qu'il ne s'agissait pas de lui. La démarche que le Serpentard avait d'abord attribuée à une nonchalance affectée semblait en réalité plutôt trahir de la lassitude. L'impression générale qui se dégageait de lui semblait tenir de la négligence du jeune homme pour sa propre apparence plutôt que d'un style soigneusement composé. Et son regard... James Potter n'avait jamais eu de raison d'avoir un tel regard.

Ce fut un réel choc pour Severus de voir un tel regard dans ces yeux-là. Des yeux qu'il n'avait pu manquer de reconnaître. Leur forme, leur couleur, leur manière de se plisser... c'était les yeux de Lily. Il n'y avait pas le moindre doute à ce sujet. Et donc aucun non plus quant à l'identité du nouveau venu. Harry Potter. Le Survivant. Celui qui était crédité pour la victoire récemment remportée contre le Seigneur des Ténèbres. Le successeur des Maraudeurs. Le fils de Lily. Le fils de Lily qui avait les yeux de Lily mais qui regardait le monde avec un regard que Severus espérait de tout cœur ne jamais voir de la part de celle qui avait jadis été sa meilleure amie.

Malgré lui, le Serpentard éprouva un soupçon d'empathie. Il s'était senti parfaitement disposé à détester et mépriser le Gryffondor simplement par principe, parce qu'il était un Potter, parce qu'il était la concrétisation de l'ultime trahison de Lily, parce qu'il avait amassé en à peine 18 ans davantage d'honneurs que Severus ne parviendrait à en récolter sa vie durant dût-il même vivre 200 ans... mais il n'était pas certain de parvenir à détester quelqu'un qui avait ces yeux et ce regard. Maintenant qu'il était forcé d'y penser, de rapprocher ce qu'il venait de remarquer des observations qu'il avait déjà effectuées depuis leur arrivée, l'objectivité à laquelle il tenait l'obligeait à conclure son analyse de manière fort différente.

La haine avait besoin d'être régulièrement alimentée, sinon elle s'éteignait. Or Harry Potter semblait manquer des principales caractéristiques qui rendaient James Potter ou Lucius Malfoy si aisés à détester : il aurait fallu être d'une mauvaise foi implacable pour penser qu'il avait mené une vie facile, il n'étalait pas une vanité démesurée, et loin de se pavaner avec arrogance et de se vanter de ses succès au prétexte il semblait au contraire préférer rester discret. Bien sûr, il n'en restait pas moins un Gryffondor, probablement toujours trop prompt à foncer vers le danger, à laisser parler ses préjugés ou à s'emporter pour une petite contrariété, mais tout cela n'en faisait pas une personne haïssable, juste une personne particulièrement pénible et donc peu fréquentable.

Severus avait eu un petit peu de temps pour assimiler le choc et faire le tri dans ses pensées car le fils de Lily était trop absorbé dans ses pensées pour l'avoir immédiatement remarqué, mais bientôt, il fut clair qu'il avait été repéré. Le Gryffondor pila tout net. Il semblait... décontenancé ? peut-être même choqué, car il se mit à agir bizarrement, levant ses deux mains devant lui. Severus aurait pu se mettre à douter de sa santé mentale s'il n'avait pas pris la parole, explicitant du même coup le sens de sa gestuelle.

« Salut... Tu peux poser ta baguette? Je n'ai pas la mienne et je ne compte pas m'en servir... »

Ah. Exact. Avec toutes ces réalisations se bousculant dans son esprit, il n'avait pas pensé à relâcher sa posture. Acquiesçant immédiatement d'un hochement de tête, Severus renvoya sa baguette dans son étui d'un mouvement souple du poignet. Il lui semblait évident que le Gryffondor n'avait pas la moindre intention de déclencher un combat. Sans doute qu'après la bataille de juin dernier, il estimait avoir épuisé son quota de l'année.

Il y eut ensuite un bref silence, pendant lequel Severus observa que le jeune homme paraissait singulièrement mal à l'aise. Il n'aurait pas été surprise de le voir se mettre à se dandiner d'un pied sur l'autre. Comme Lily le faisait, quand elle était plus jeune et qu'elle voulait parler d'un sujet délicat mais n'osait pas et finissait par déclarer qu'il était temps pour elle de rentrer car ses parents allaient s'inquiéter.

Severus réalisa soudain que depuis le début de cette rencontre, il avait davantage pensé à Lily qu'il ne s'était autorisé à le faire depuis plus d'un an, et qu'étrangement, il ne se sentait pas en colère. Plutôt... nostalgique. Et nostalgique dans un bon sens. Il revoyait les bons moments qu'ils avaient passé ensemble plutôt que les mauvais qui s'étaient plus tard multipliés jusqu'à provoquer leur rupture.

« Je crois qu'il vaut mieux que je te laisse. Je vais trouver un autre endroit... »

Severus entendit le Gryffondor, mais il était à moitié ailleurs, accaparé par cette nouvelle révélation. Il ne manqua rien par contre du langage corporel accompagnant cette déclaration, et fut une fois encore frappé par la ressemblance avec les mimiques et les postures de Lily. Ce qu'il laissa échapper sans vraiment y penser.

« Je ne m'attendais pas à ce que tu ressembles à ce point à Lily... »

Réalisant dès l'instant suivant qu'il en avait dit beaucoup plus qu'il n'en avait l'intention, il se força à reprendre un ton neutre pour répondre.

« Désolé. Fais comme il te plaît, je te souhaite une bonne journée. »

La discussion était désormais close, mais le Serpentard ne put s'empêcher de continuer à observer le Gryffondor. C'était vraiment étrange, de penser qu'un jour Lily donnerait naissance à un garçon, et que celui-ci était là aujourd'hui en face de lui, à peu près du même âge que lui. Severus était prêt à parier qu'il lui faudrait encore un certain temps avant de totalement assimiler cette idée...

Les paroles de Severus n'eurent pas tout à fait l'effet escompté. Le Gryffondor, qui avait déjà commencé à rebrousser chemin, s'était arrêté sur sa lancée à la remarque que le Serpentard avait laissé échappé sur sa ressemblance avec Lily, et l'avait regardé avec de grands yeux écarquillés. Severus regretta encore plus d'avoir dit une telle chose, mais il se sentit également surpris de l'intensité de cette réaction : pourquoi cet Harry Potter réagissait-il ainsi ? était-ce parce que son futur-lui n'évoquait jamais Lily ? ou parce qu'il ne prenait jamais un ton aussi civil pour en parler ?

Soupçonnant que la réponse n'aurait sans doute rien de flatteur et ne voulant pas apprendre un autre détail consternant sur le comportement de son futur-lui, Severus ne s'y arrêta pas et enchaîna en souhaitant poliment une bonne journée au Gryffondor. Mais la réaction dudit Gryffondor fut encore plus inattendue que précédemment. Cette fois, il se mit à rire. Éperdument. Irrépressiblement. Interminablement.

Le rire avait d'abord décontenancé Severus, qui ne voyait vraiment pas ce qu'il avait dit de drôle, et il avait donc ensuite froncé les sourcils, persuadé que le Gryffondor se moquait. Le rire se prolongea, et Severus devint livide. Il avait voulu faire preuve de bonne volonté et accorder à cet individu le bénéfice du doute en dépit du nom qu'il portait, il avait voulu compenser le mauvais traitement infligé par son futur-lui en retenant son jugement, et voilà que sa bonne volonté lui était renvoyée à la figure sans le moindre égard : tout comme à James Potter, il n'avait pas fallu longtemps à Harry Potter pour trouver un prétexte et rire de lui.

Severus aurait cru s'être davantage endurci après toutes ces années de tourment constant, mais il réalisa que s'il parvenait désormais à majoritairement ignorer les provocations de James Potter ou de Sirius Black, il n'était pas capable de se sentir aussi indifférent à un traitement semblable de la part du fils de Lily. Ces moqueries-là le blessaient bien davantage que celles auxquelles il s'était habitué. Et il ne pensait pas que c'était uniquement dû à leur nouveauté.

Finalement, le Gryffondor sembla parvenir à maîtriser un tant soit peu son fou rire, et Severus veilla à se composer une expression indifférente. Il était hors de question qu'il laisse percevoir à quel point il avait été affecté.

« Je .... je ... je suis désolé... Je me fous pas de toi... vous... mais c'est juste que... tu m'as... enfin vous... vous avez toujours fait de ma vie un enfer... votre... ton... merde ! votre plus grand but dans la vie je crois bien que c'était de me la pourrir... Je... je suis même persuadé qu'une fois... tu .... vous avez voulu m'empoisonner. »

Le discours était quelque peu embrouillé, et Severus mit quelques instants à le décrypter, mais quand ce fut fait, pris au dépourvu par cette explication, il ré-analysa avec une autre perspective la scène qui venait de se dérouler.

Le Gryffondor n'avait pas cherché à se moquer. C'était plutôt une espèce de réaction nerveuse faisant suite à un choc violent, probablement un contre-coup de tout ce qui s'était passé au cours des trois derniers jours, les paroles du Serpentard n'ayant servi que de déclencheur. En y pensant, bien que difficile pour tous les concernés, ça avait dû être particulièrement éprouvant pour Potter Junior en particulier : rencontrer pour la première fois ses parents morts quand il avait un an, revoir des gens tués durant la guerre, se découvrir une ribambelle d'enfants issus de deux mariages différents dont un complètement impensable... Si l'on considérait tout ça, l'étonnant n'était pas que Potter Junior pique une crise d'hystérie, c'était qu'il ne l'ait pas fait plus tôt.

En plus, il semblait clair qu'à l'instar de la majorité des élèves, Potter Junior ne parvenait pas à assimiler le fait que deux personnes partageant la même identité mais séparées par une vingtaine d'années étaient nécessairement deux personnes différentes. Severus déplorait profondément ce manque de logique fondamental qu'il constatait chez la majorité des sorciers, d'autant qu'en l'occurrence cela ne faisait qu'augmenter la confusion ambiante et donc le nombre de drames susceptibles d'éclater chaque jour. Poudlard avait toujours été le théâtre d’innombrables psychodrames adolescents, mais dernièrement, ça battait tous les records. Inutile de chercher à faire venir la télévision, il y avait du soap-opera en direct à toute heure.

Severus se focalisa à nouveau sur le Gryffondor en voyant qu'il se redressait, ayant désormais réussi à se calmer. Il avait apparemment renoncé à partir pour le moment, puis qu'il revenait vers lui.

« Tu as dû le deviner mais je vais tenter de faire les choses bien. Je me présente, je suis Harry Potter, ton... rah votre futur souffre douleur préféré. »

Severus arqua un sourcil à cette présentation incongrue, mais serra fermement la main qui lui était tendue. Si Potter Junior prenait le risque d'ignorer ses idées préconçues pour tenter une prise de contact civile, il ne pouvait pas faire moins. Avec Potter Senior, il avait toujours estimé avoir le bon droit de son côté parce qu'il n'était pas celui qui avait commencé les hostilités. Il n'agirait pas différemment avec le fils, et s'il n'était pas attaqué, il n'aurait pas à répliquer.

« Enchanté. Je suis Severus Snape. Et autant me tutoyer. J'ai le même âge que toi, et ça t'aidera à te rappeler que je ne suis pas la personne qui t'a utilisé comme souffre-douleur et tenté de t'empoisonner. »

Le Serpentard pensait avoir réussi à conserver une expression impassible et un ton simplement poli, mais l'idée le perturbait. Quand il était plus jeune, il s'était fait la promesse solennelle de ne jamais devenir comme son père ou comme les Maraudeurs, de ne jamais abuser de son autorité pour harceler ou brutaliser quelqu'un de plus faible n'ayant rien fait pour le mériter. Il ne comprenait pas comment son futur-lui avait pu en arriver à manquer à une promesse aussi fondamentale. Il avait bien une théorie... une théorie qu'il trouvait malheureusement très plausible. Mais qui ne lui en donnait pas moins des frissons dans le dos. La perspective d'être condamné à évoluer de la sorte était glaçante.

Severus était extrêmement conscient de ne pas être au mieux de ses facultés. A la base, c'était même pour ça qu'il avait de s'isoler en tout début de matinée là où il avait une très faible probabilité d'être interrompu : il voulait clarifier ses pensées et écarter ses émotions parasites grâce à une pratique de l'occlumancie. Néanmoins, il estimait qu'il n'allait probablement pas regretter ce qu'il était en train de faire.

Probablement pas.

Mais il n'en éprouvait pas moins quelques doutes. Et ça n'aidait pas de constater que le Gryffondor qui lui faisait face semblait lui aussi avoir quelques doutes. De manière générale, les Gryffondor ne doutaient pas, ce n'était pas dans leur nature, ils étaient formatés pour avoir des opinions tranchées sur à peu près n'importe quel sujet et pour ne pas remettre en question leurs décisions une fois qu'ils étaient lancés. Alors voir un Gryffondor qui doutait, c'était un peu comme entendre le rugissement d'un Nundu : ça ne présageait rien de bon pour l'avenir immédiat.

Néanmoins, tandis qu'il observait le fils de Lily, Severus se trouva conforté dans son choix. Parce que s'il était vrai que le Gryffondor présentait une ressemblance frappante avec Lily, qui l'avait trahi et abandonné, qu'il était l'héritier de James Potter, qui l'avait tourmenté et martyrisé, qu'il avait été comme eux réparti à Gryffondor, terrain fertile pour l'étroitesse d'esprit et les préjugés, il était tout aussi vrai que son regard ressemblait bien plus à celui de Severus qu'à celui d'aucun de ses parents.

Lily et James Potter étaient tous deux des enfants gâtés, choyés, à qui tout avait été donné, et qui tendaient à se croire exceptionnels dès qu'ils surmontaient une petite difficulté, sans réaliser qu'avec tous les atouts dont ils avaient été dotés, arriver à ce résultat leur avait coûté bien moins d'effort et de peine qu'il n'en aurait fallu à la grande majorité des gens qu'ils côtoyaient. Et dans leur égocentrisme, ils voyaient le monde à leur image, et étaient prompts à catégoriser comme fondamentalement mauvais des gens qui avaient simplement été confrontés à des expériences leur donnant une vision du monde radicalement différente de la leur. Aucun d'eux n'avait jamais eu l'estomac tordu par la faim, connu des nuits si froides qu'il craignait de s'endormir de peur de ne pas se réveiller, eu besoin de prendre l'habitude d'épier en permanence avec discrétion les personnes de son entourage et de mettre au point des techniques pour s'en protéger, eu besoin de tuer pour ne pas être tué.

Harry Potter n'avait peut-être pas connu tout ça non plus, même si au vu de son rôle dans la guerre qui venait de s'achever il avait vraisemblablement au moins fait face à l'alternative tuer ou être tué, mais quoi qu'il ait vécu, son regard indiquait à Severus que pour une raison ou pour une autre, il savait. Il avait beau être un Gryffondor, il ne partageait pas entièrement leur optimisme naïf, il ne croyait pas à la bonté inhérente de l'humanité, il ne croyait pas que tout allait forcément finir par s'arranger simplement parce qu'il était du bon côté. Il avait vu ce que le monde avait de laid, et il n'avait pas choisi de l'ignorer ou de l'oublier. Il portait la trace de cette réalisation forcée.

Severus avait donc l'intention de lui accorder une chance, de lui laisser l'opportunité de prouver qu'il était différent de ses parents.

Et les paroles que prononça le Gryffondor après leur poignée de mains semblait indiquer qu'il avait pris une décision similaire de son côté, laissant au Serpentard une opportunité de prouver qu'il était différent du professeur de potions tyrannique qu'il était supposé devenir.

« Je crois que je ne vais pas avoir de mal à me souvenir que tu n'es pas le Snape que je connais. Si tu connais à me parler civilement comme ça tu peux être sur que je ne vais pas l'oublier mais le tutoiement... c'est assez difficile j'avoue mais je vais faire un effort. »

Severus préféra ne pas relever le début des propos, et indiqua simplement que cela lui convenait d'un léger hochement de tête. Tant que Potter Junior faisait l'effort de ne pas l'assimiler à son futur-lui, peu lui importait qu'il continue encore quelque temps à s'embrouiller entre tutoiement et vouvoiement.

Marquant une pause, le jeune homme se dirigea ensuite vers le rocher plat pour s'y asseoir. Son mégot s'étant consumé, il le jeta, ce que Severus se força à ne pas commenter, puis prit une autre cigarette dans son paquet. Étonnamment, il proposa une cigarette à Severus. Celui-ci hésita : comme tout adepte de potions, il était particulièrement sensibilisé aux problématiques d'accoutumance et d'addiction, et en plus il n'était pas dans son caractère d'accepter de dépendre d'une drogue. Il fumait donc extrêmement rarement. Cependant, il devait reconnaître que les circonstances présentes étaient exceptionnelles, et qu'un adjuvant chimique permettant de le calmer et d'ainsi stabiliser son état mental n'était pas forcément une mauvaise idée à cet instant. Parvenant rapidement à cette conclusion, il prit donc lui aussi une cigarette dans le paquet, et laissa le Gryffondor l'allumer avec son briquet avant d'en tirer une bouffée.

« Alors... Il y a des choses que tu aimerais savoir? Sur... sur ton futur? Je ne prétends pas être celui qui te connais le mieux mais j'ai... j'ai vu certaines choses que tu m'as confié avant de... »

Severus maîtrisait trop bien ses expressions faciales pour le montrer, mais il ne s'était pas attendu à ce que la discussion prenne immédiatement une telle direction. Et l'évocation de confidences le plongeait dans la perplexité. Tout ce qu'il avait appris jusqu'à présent soulignait que son futur-lui détestait Harry Potter, pourquoi lui aurait-il confié quoi que ce soit ?

Pour se donner un peu de temps pour réfléchir, il contourna le Gryffondor pour s'asseoir lui aussi sur le plat du rocher, dans une position le plaçant à peu près en face de son interlocuteur, à moins de cinq pieds de distance. Et il s'accorda une autre bouffée avant de répondre, avec une certaine précaution.

« Eh bien... J'estime essentiel de me renseigner aussi complètement que possible pour faire face à une situation nouvelle. Donc oui, en effet, il y a beaucoup de choses que j'aimerais savoir... et un bon nombre que tu pourrais sans doute m'apprendre. »

Severus marqua une légère pause, hésitant sur la formulation à donner à sa question, mais ne sachant comment éviter de potentiellement offenser quelqu'un qu'il ne connaissait pas assez pour savoir comment lui présenter les choses sous le meilleur angle, il poursuivit presque immédiatement.

« Néanmoins, cela me placerait en position de débiteur vis-à-vis de toi, et je n'aime pas avoir des dettes non nommées. Je préfère donc l'établir clairement dès maintenant : que souhaiteras-tu en échange ? »

Severus savait bien que les Gryffondor aimaient faire semblant que ça ne fonctionnait pas ainsi, et que les services pouvaient être rendus pour rien. Mais en réalité, c'était très rarement le cas. Il espérait donc que Harry Potter était un Gryffondor suffisamment atypique pour comprendre la nécessité d'établir un marché et pour ne pas s'indigner de voir les choses présentées aussi crûment.

Avec un rien d'anxiété qu'il aurait catégoriquement refusé d'admettre, le Serpentard tira une autre bouffée.

Le Gryffondor réagit mieux que ce que Severus avait envisagé, et ne refusa pas directement le marché qu'il venait de proposer. Cependant, en bon Gryffondor, il jugea nécessaire de protester pour la forme.

« Si il y a bien quelqu'un ici qui doit quelque chose à l'autre c'est bien moi. Mais tu ne l'as pas encore fait donc bref oublions. »

Donc, le fils de Lily estimait avoir une dette envers lui ? Était-ce simplement parce que son futur-lui avait joué l'espion pour lui et était mort pendant la bataille, ou bien était-ce pour une raison plus personnelle ? Severus ne disposait pas d'éléments en nombre suffisant pour le déterminer, mais il classa soigneusement l'information dans son esprit. Cela pourrait devenir utile plus tard.

Potter Junior poursuivit, après avoir tiré une bouffée de sa propre cigarette tandis que Severus faisait de même. Il lui parut un peu incertain. Severus en déduisit qu'il y avait bien quelque chose qu'il souhaitait demander, quelque chose qui lui tenait suffisamment à cœur pour qu'il y ait immédiatement pensé sans avoir besoin de réfléchir, mais qu'il hésitait à le faire. Cette incertitude ne dura guère, et le Gryffondor enchaîna.

« Mais soit si tu le veux... Tu me poses une question sur ton avenir et... tu me dis quelque chose sur Lily... »

Ah. Lily, bien sûr. Severus aurait dû le prévoir. S'il était honnête avec lui-même, il l'avait envisagé, mais avait préféré écarter cette pensée. Le simple fait de songer à Lily lui était douloureux, alors envisager de parler d'elle paraissait impossible. Il avait donc espéré que Potter Junior ne saurait rien de l'amitié qu'il avait autrefois partagé avec sa mère. Mais de toute évidence, c'était un espoir déraisonnable. Le Gryffondor ne connaissait peut-être pas les détails, mais il savait au moins que Severus était en mesure de parler de Lily. Et le Serpentard devait bien l'admettre, si pénible que ce soit pour lui, c'était un marché équilibré, lui-même accordait vraisemblablement la même valeur aux informations concernant son futur-lui que le fils de Lily en accordait à des informations inédites concernant sa mère. Car qui lui aurait parlé de l'enfance de Lily ? Petunia aurait peut-être pu, mais le Gryffondor n'avait probablement jamais rencontré la moldue, et même s'il l'avait fait il était fort probable qu'il ait trouvé une Petunia plus aigrie que jamais qui ne lui aurait dit que des horreurs. Bien sûr, dans ces circonstances particulières, il aurait pu interroger Lily elle-même, mais Severus pouvait concevoir qu'il ne souhaite pas procéder ainsi.

Il restait toutefois un problème, même si Severus se forçait à accepter de parler de Lily : il pouvait difficilement évoquer ses souvenirs de Lily enfant sans en même temps parler indirectement de lui-même. Et Severus avait beau vouloir donner une chance au Gryffondor, il n'était pas prêt à lui faire confiance, et ne voulait pas lui donner des informations dont Potter Junior pourrait plus tard se servir contre lui.

Il existait bien un moyen simple d'éviter cet écueil, mais le Serpentard soupçonnait qu'un Gryffondor serait réticent à l'accepter... Les membres de cette Maison tendaient à avoir une notion très particulière de la protection des secrets, croyant manifestement qu'il suffisait que quelqu'un dise qu'il ne répèterait rien pour que le secret soit préservé. Un totale absurdité aux yeux de Severus, mais qu'il avait depuis longtemps renoncé à démontrer. Après de nombreux débats houleux sur le sujet, en troisième année, Lily et lui s'étaient finalement mis d'accord sur un désaccord, et n'en avaient plus jamais discuté.

Tout en se préparant à un refus, Severus proposa donc son idée.

« C'est entendu. Le marché me paraît équitable. Néanmoins, pareils sujets risquent de nous amener à révéler des informations personnelles, plus personnelles que nous ne serions disposés à confier à un étranger. Dans l'intérêt d'une plus grande sincérité, pour éviter d'avoir à nous censurer, je serais disposé à établir un cercle de secret, si tu le souhaites. »

Le Serpentard avait cité le cercle de secret car il estimait que c'était un type de serment suffisamment connu et suffisamment anodin pour qu'il y ait une chance que le Gryffondor accepte. C'était un sortilège que tous les élèves ayant passé quelques années à Poudlard devaient connaître : il était typiquement utilisé dans la version sorcière du jeu "Action ou Vérité", conjointement à un cercle de vérité, et Severus doutait fort qu'un tel jeu se fût démodé. Il n'impliquait aucune conséquence néfaste si un participant essayait de briser le secret, ni douleur, ni marque humiliante, ni retour de magie, le serment poussait simplement à parler d'autre chose à la place. Et avec un peu de volonté, un sorcier de septième année pouvait se libérer du serment, ce n'était pas absolument définitif, il fallait juste une bonne raison car le processus était un peu long.

Mais si Potter Junior se méfiait et refusait quand même, Severus ferait avec, il choisirait simplement de censurer davantage ses propos pour ne pas se compromettre excessivement. Et comme il avait prévenu le Gryffondor de cette conséquence, il n'en estimerait pas moins avoir rempli sa part du marché.

Severus s'attendait à un refus, et ne fut donc pas étonné d'entendre le Gryffondor contester la nécessité d'une précaution garantissant une certaine confidentialité aux informations qu'ils échangeraient.

« C'est trop dur pour toi de simplement me faire confiance? »

Le Serpentard eut beaucoup de mal à réprimer l'énorme soupir qu'il avait envie de pousser. La naïveté des Gryffondor était parfois exténuante. Il pesa le pour et le contre : devait-il s'efforcer de lui expliquer son point de vue tout en veillant à ménager sa susceptibilité, entreprise qui promettait de nécessité des trésors de patience et de tolérance, ou bien pouvait-il se contenter de renoncer dès à présent à sa suggestion, s'épargnant ainsi bien des efforts inutiles ?

Il n'eut pas le temps de trancher, car le Gryffondor enchaîna rapidement.

« Allez finissons en. Fais ton truc du secret ou je sais pas quoi. Si c'est ce qu'il te faut pour que tu crois en ma sincérité allons y. »

Cette fois, Severus haussa les sourcils avant de seulement songer à contrôler sa réaction. Potter Junior venait d'accepter. La question initiale n'avait donc été que rhétorique. Voilà qui était... pour le moins étonnant. Le Serpentard en déduisit que le Gryffondor devait vraiment, vraiment, tenir à en apprendre davantage sur sa mère. C'était assez curieux : pourquoi était-ce si important pour lui de savoir comment elle était enfant ? Il avait déjà dû entendre de nombreuses histoires sur sa scolarité à Poudlard, sur son mariage, sur sa maternité. Il n'aurait pas dû éprouver davantage qu'une certaine curiosité pour les jeunes années de Lily, si ?

Enfin, peu importait, cela arrangeait Severus qu'il soit prêt à passer un marché. Même si ce marché impliquait de parler de Lily.

« Merci. Je voudrais quand même préciser que cette précaution n'est pas dirigée contre toi en particulier. Manifestement, comme la majorité des Gryffondor, tu préfères croire les autres êtres humains dignes de confiance jusqu'à preuve du contraire. Moi, au contraire, je préfère rester circonspect jusqu'à ce que j'estime pouvoir accorder ma confiance. Simple question de perspective. »

Il ponctua son explication d'un petit haussement d'épaules puis, sans perdre davantage de temps, il commença à établir le cercle. Comme c'était une magie plutôt ancienne et peu raffinée, elle fonctionnait mieux avec un ancrage physique. Il fit donc léviter sept galets pour les positionner dans un cercle approximatif autour d'eux, avec de simples Wingardium Leviosa non verbaux. Il enchaîna avec le charme qui garantirait le secret, pointant sa baguette tour à tour vers chacun des galets et lui faisant effectuant une sorte de huit allongé, tout en murmurant une incantation en vieil anglais. Il termina par un mouvement qui circulaire pointé vers le ciel. Il sentit la magie prendre : le charme n'acceptait que les participants volontaires, si Potter Junior n'avait pas vraiment voulu le faire, il n'aurait pas fonctionné.

Ensuite, il ne chercha pas à établir un cercle de vérité. Le Gryffondor semblait croire qu'il voulait une garantie de sa sincérité, et effectivement Severus allait vouloir un minimum de garanties sur la véracité de ses propos, mais il n'avait aucune intention de l'empêcher de mentir. Ce type de magie était trop intrusif à son goût, et il n'avait pas la moindre intention de s'y laisser soumettre. Mais il ne détrompa pas l'autre jeune homme : si le Gryffondor croyait devoir dire la vérité, c'était tout à l'avantage du Serpentard. Et de toute manière, en cas de besoin, une légilimancie de surface lui suffirait à déterminer si Potter Junior était sincère ou pas. Même si Potter avait reçu un entraînement en occlumancie, ce qui était peu probable vu combien les adeptes de la Lumière se méfiaient des magies mentales, Severus ne doutait pas d'être meilleur. Il avait récemment réalisé qu'en dépit d'un apprentissage majoritairement autodidacte, il était bien plus doué que tous les héritiers Sang-Pur instruits par des tuteurs hors de prix auxquels il avait eu l'occasion de se confronter. N'étant pas sujet à la fausse modestie, le Serpentard avait admis qu'il avait des prédispositions exceptionnelles dans ce domaine, et s'il n'avait pas l'arrogance de croire qu'il ne rencontrerait jamais meilleur que lui, il savait qu'il était très peu probable que quelqu'un d'autre de son âge fasse preuve d'une maîtrise qui dépasse la sienne.

Il conclut donc simplement en lançant un Mufflatio non verbal. Le coin était probablement désert, mais c'était une protection complémentaire qui ne coûtait pas grand chose, alors autant ne pas s'en priver. Ce serait tout de même ridicule si après avoir pris ces précautions pour que Potter Junior garde ses secrets, il était trahi parce qu'il avait négligé d'envisager que quelqu'un puisse les espionner !

Deux minutes et une petite dizaine de sortilèges après le feu vert donné par le Gryffondor, le Serpentard avait donc établi un périmètre de sécurité. Estimant que l'autre jeune homme avait fait une concession non négligeable en tolérant ces mesures qu'il devait juger paranoïaques, Severus décida de lui laisser poser la première question.

« Donc... Y a-t-il quelque chose de précis que tu voudrais savoir sur Lily ? »

La syntaxe de sa propre phrase le fit presque grimacer. Son éloquence lui faisait défaut, signe que le sujet le perturbait profondément. Mais il était déterminé à tenir sa part du marché. Et une part de lui éprouvait une certaine curiosité : qu'est-ce que Potter Junior allait demander ? est-ce que sa première question lui donnerait un indice sur ce qu'il cherchait ?

Spoiler:

Lorsque Severus lui proposa de poser sa première question, Potter Junior parut surpris. S'attendait-il à ce que le Serpentard exige d'avoir d'abord une réponse à ses propres questions ? C'est vrai que ce comportement aurait sans doute été plus typique de la part d'un Vert et Argent, mais un bon nombre d'entre eux suivaient un code d'honneur très strict et auraient sans doute agi de manière similaire à celle de Severus. Une telle surprise n'était donc pas vraiment justifiée. Il en déduisit que son interlocuteur n'avait pas dû interagir souvent de manière civile avec un Serpentard.

Le Gryffondor prit ensuite encore un temps de réflexion, probablement pour déterminer sa question et sa formulation. Severus en profita pour tirer les deux dernières bouffées de sa cigarette, presque entièrement consumée. Quand ce fut fait, il carbonisa le mégot pour ne pas avoir à le jeter.

Entre temps, le Gryffondor semblait avoir fixé son choix. Severus faillit tiquer quand il passa la main dans ses cheveux, car même si le geste paraissait surtout trahir de la nervosité, il lui rappelait trop Potter Senior. Il se retint, mais se sentit encore plus mal à l'aise que précédemment, ce qui n'était définitivement pas souhaitable alors qu'il allait devoir parler de Lily sans trahir ses émotions. D'ailleurs, Potter Junior se décida enfin à poser sa question.

« Tu l'as rencontré comment? Enfin... vous vous êtes connus comment? »

Outch. Severus se félicita d'avoir réussi à imposer un cercle de secret, car dès la première question il allait devoir donner des informations personnelles. Ce qui était étrange : il s'était attendu à être impliqué indirectement, mais cette question le concernait très directement. Il fixa un regard inquisiteur sur le Gryffondor, cherchant à comprendre ses intentions.

Son regard mit peut-être le Gryffondor mal à l'aise, car il enchaîna de manière précipitée.

« Et toi... tu voudrais savoir quoi sur ton avenir?? »

Severus arqua un sourcil pour montrer que si c'était une tentative de détourner son attention elle était bien trop peu subtile pour qu'il soit dupe, mais il se dispensa de commenter. Il se concentra plutôt pour réfléchir à la manière dont il répondrait à la première question de Potter Junior.

Quelques instants suffirent à déterminer sa stratégie globale : il répondrait de manière aussi précise et sincère que possible pour tout ce qui concernait Lily, car il estimait qu'un orphelin était en droit d'en apprendre autant que possible sur ses parents, mais il ferait l'impasse sur tout ce qui concernait sa propre situation, il était hors de question que le Gryffondor sache à quel point son enfance avait été misérable.

Après une courte pause, il commença donc à raconter.

« Lily et moi avons grandi dans le même quartier, à Cokeworth, qui était à l'époque une ville industrielle en pleine reconversion. Les aires de jeux destinées aux enfants étaient peu nombreuses, alors forcément, nous nous sommes croisés à plusieurs reprises dans la plus proche de chez nous. J'avais repéré Lily parce qu'elle était... remarquable. Même sans magie, elle aurait été spéciale. Elle était sans conteste la plus jolie des petites filles aux alentours, vive et enjouée, avec des boucles rousses et des yeux verts dont l'intensité ne pouvait qu'attirer l'attention. Toutes les mamans la trouvaient adorable, les autres petites filles voulaient jouer avec elle, et même certains garçons se seraient bien laissés tenter s'ils n'avaient pas risqué de subir les moqueries de leurs amis en se mêlant à des filles. La seule personne que je connaisse qui avait quelque chose à reprocher à Lily était sa sœur, qui avait de bonnes raisons d'être jalouse car par malchance Lily cumulait tous les dons dont elle avait été privée.

J'ai abordé Lily le jour où j'ai eu la confirmation qu'elle était une sorcière, en observant une manifestation de sa magie accidentelle. Contrairement à moi, elle venait d'une famille moldue, et ne savait rien du monde magique. J'ai voulu qu'elle sache ce qu'elle était, ce qui l'attendait. Et à partir de là, nous nous sommes rencontrés régulièrement, je lui ai expliqué ce que je savais, et petit à petit nous sommes devenus amis. »

A la fin de cette longue tirade, le Serpentard se félicita mentalement : il avait réussi à se désimpliquer émotionnellement, n'avait trahi aucun trouble. En fait, ce n'était pas si difficile de parler de Lily enfant, car il pouvait la séparer assez aisément de la Lily d'aujourd'hui, se placer en observateur extérieur, faire comme s'il s'agissait d'une autre personne. Et puis la cigarette avait dû aider, aussi. Comme quoi, quoi qu'en disent les détracteurs des potions, les drogues étaient utiles, il fallait juste les utiliser à bon escient. Les problèmes liaient aux potions provenaient de la stupidité des gens, pas des potions en elle-mêmes. Enfin bref, ce n'était pas vraiment le sujet du moment, et le Serpentard coupa court à cette digression mentale.

Severus avait été beaucoup plus bref dans son explication à partir du moment où il était impliqué, mais il estimait que sa réponse devrait tout de même satisfaire le Gryffondor. Il avait mentionné tous les détails qu'il jugeait importants.

Après une brève pause, il indiqua sa propre question. Il considéra comme établi le fait qu'ils répondraient chacun à une question tour à tour. C'était la manière la plus simple et la plus équitable de procéder.

« Pour ma part, ce que j'aimerais d'abord savoir, c'est comment j'ai pu me retrouver professeur à Poudlard ? Sais-tu pourquoi j'ai fait ce choix alors que je venais tout juste d'obtenir mon titre de Maître en Potions, ou pourquoi j'y suis resté si longtemps alors que ce n'était manifestement pas un métier qui me plaisait ? »

Severus savait qu'il y avait de bonnes chances que Potter Junior n'en sache rien. Ce n'était pas vraiment le genre d'informations qu'un élève devait connaître. Mais il pouvait avoir des idées, des suppositions. Et cette question torturait Severus depuis qu'il était arrivé dans cette époque. Il ne pouvait s'empêcher de penser que son futur-lui avait complètement raté sa vie, et le fait qu'il n'ait pas réussi à exercer une profession qu'il aimait jouait une grande part dans cette impression.

Ayant terminé son tour de parole, le Serpentard observa discrètement le Gryffondor tandis qu'il absorbait le récit concernant sa mère et réfléchissait à la réponse à donner à sa propre question.

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De son observation, Severus conclut que le Gryffondor avait apprécié ce qu'il venait de lui raconter sur sa mère, mais qu'il ne savait pas quoi faire de sa question, qu'il y avait probablement quelque chose qu'il voulait éviter de dire. Du moins, c'est ce que le Serpentard soupçonna, conscient néanmoins d'être influencé par sa propre conviction qu'il avait fallu une motivation cachée d'importance majeure pour que son futur-lui accepte d'enseigner à Poudlard. Ce qui était curieux, c'était que le Gryffondor connaisse cette raison. Mais maintenant qu'il savait qu'il savait, Severus comptait bien manoeuvrer pour la lui extirper. Il pressentait que la réponse complète à sa question lui fournirait de précieux indices concernant le comportement déroutant de son futur-lui.

Potter Junior finit par répondre, mais Severus eut l'impression qu'il pesait trop ses mots, ou en tout cas trop pour que ce fût naturel chez un Gryffondor.

« Je ne peux faire que des suppositions parce que je ne sais pas tout exactement de l'histoire. Il me semble que tu as postulé pour un poste de professeur sur ordre de Voldemort. Je pense qu'il voulait avoir quelqu'un à Poudlard pour espionner Dumbledore. Puis tu es devenu espion pour Dumbledore. C'est pour ça que tu es resté à Poudlard toutes ces années. Tu as continué à donner des renseignements à Dumbledore puis quand Voldemort est revenu tu as recommencé à l'espionner pour lui. »

Il aurait postulé selon une consigne du Seigneur des Ténèbres ? Cela lui paraissait être un bien mauvais usage de ses capacités, mais ce n'était pas impossible. L'héritier des Serpentard aurait forcément placé au moins une personne pour garder un œil sur Poudlard et sur Dumbledore. Et sans doute Severus représentait-il un envoyé tout désigné pour ce rôle : il avait des crédits suffisants pour enseigner dans une école aussi prestigieuse, et ses capacités en occlumancie permettaient de dissimuler ses intentions réelles même à un sorcier aussi doué que le Directeur l'avait été. Néanmoins, Severus doutait que son futur-lui ait accepté une telle mission de gaieté de cœur. Poudlard représentait pour lui un concentré de tout ce qui avait tourné de travers durant son enfance, de tous les handicaps avec lesquels il avait été forcé de composer. Son plus grand souhait était actuellement de terminer sa dernière année pour quitter le Royaume-Uni et de ne plus y retourner avant d'avoir acquis un statut tel que nul ne pourrait plus s'en prendre à lui en toute impunité. Alors comment est-ce que ça avait pu tourner si différemment ? Pourquoi avait-il finalement choisi de servir le Seigneur des Ténèbres même lorsque ses ordres étaient en totale contradiction avec ses propres objectifs ?

Encore une fois, les soupçons qu'il avait déjà formés voulurent se manifester, mais Severus les repoussa vigoureusement. Il manquait encore trop d'éléments pour tirer une conclusion valable, et il n'était pas du genre à se rendre malade sans bonne raison, en se basant sur de simples supputations.

Le Gryffondor s'était accordé quelques instants de réflexion avant de poser sa prochaine question, permettant au Serpentard de faire de même, mais il hésita moins qu'initialement.

« Et à Poudlard... elle était comment? On m'a toujours dit que mes parents étaient des grands sorciers sans vraiment m'en dire plus. Slughorn m'a dit qu'elle était très doué en potion et que je devais tenir ça d'elle, tu penses que je suis lamentable d'ailleurs, mais on ne m'a pas dit grand chose de plus. Elle était inscrite dans des clubs? Elle aimait le quidditch? C'était quoi ses passions? Ses qualités? Ses défauts? »

Rien que ça ? Severus avait failli penser qu'il serait incapable de s'arrêter de lui-même, et avait songé à intervenir. Heureusement que Potter Junior s'était repris.

« Pardon... je me suis un peu emballé je crois. Tu n'es pas obligé de me répondre. Tu peux poser ta question suivante ou juste me dire ce que tu veux. »

Une fois encore, Severus limita son expressivité à un sourcil arqué, et ne commenta pas directement le débordement du Gryffondor.

« Cela fait en effet beaucoup de questions à la fois, donc je ne répondrai pour le moment qu'à une partie de ta demande. Tu pourras revenir au reste plus tard, si tu le souhaites. Mais donc, en ce qui concerne ses qualités et défauts... »

Severus hésita un très court instant avant de poursuivre. Il lui avait paru plus cohérent de commencer avec cette question-là, mais c'était une des plus subjectives. En listant les qualités et défauts de Lily, il donnerait nécessairement le point de vue qu'il avait d'elle, et il ne se sentait pas vraiment à l'aise avec cette idée. Il poursuivit néanmoins.

« Lily se démarquait par le simple fait que ses qualités étaient bien plus évidentes que ses défauts. Elle était belle, intelligente, compétente, et paraissait le plus souvent avoir un caractère d'ange. Si elle n'avait pas eu des origines moldues, nul doute que de nombreux sorciers de statut élevé auraient voulu la courtiser. Mais s'ils l'avaient mieux connue, ces sorciers auraient probablement réalisé qu'elle ne correspondait pas tout à fait à l'épouse dont ils rêvaient. Car si Lily savait se montrer douce et aimable, elle pouvait aussi se montrer extrêmement entêtée, voire bornée. Elle détestait avoir tort, et avait beaucoup de mal à réaliser qu'il pouvait y avoir d'autres points de vue que le sien sur certains sujets. Elle était capable d'entrer dans des colères terribles, et elle était rancunière. Et après, comme elle ne savait pas se reconnaître en tort, elle ne s'excusait jamais la première. Elle avait parfois un comportement de petite princesse : ce n'était pas vraiment de l'arrogance délibérée, mais comme elle avait été habituée toute sa vie à être particulièrement bien traitée, à tout recevoir sans rien avoir à demander, elle en était arrivée à s'attendre à toujours être traitée ainsi.

Elle avait donc aussi des défauts, comme tout le monde. Mais ces défauts, même ceux qui les voyaient étaient tout prêts à les ignorer ou à les oublier, car l'amitié de Lily valait largement la peine d'endurer ces petits désagréments de temps en temps. Elle n'avait pas été répartie à Gryffondor pour rien : c'était une amie brave et honorable, prête à endurer la réprobation de ses pairs pour fréquenter qui elle voulait. Et bien sûr, justement pour ça, la réprobation ne durait pas. Rien qu'en étant elle-même, elle gagnait la sympathie et le respect de ceux qui l'entouraient. »

Severus avait préféré continuer à parler au passé, même si les défauts et qualités dont il parlait s'appliquaient le plus souvent encore à la Lily qui vivait actuellement. Par cet artifice linguistique, il maintenait une distance entre lui et la Lily dont il parlait, et risquait donc moins d'exposer des émotions malvenues. Car même maintenant, plus d'un an après leur rupture, il ne pouvait évoquer son amitié passée avec Lily sans sentir sa gorge se serrer. Il pensait que son trouble n'avait pas été perceptible. Il ne pouvait qu'espérer que c'était bien le cas.

Il vida ses pensées de tout ce qui concernait Lily, et se concentra sur le choix de sa prochaine question. Il fallait qu'il explore ce que Potter Junior avait réussi à éviter en répondant à la précédente, mais que demander précisément pour obtenir ce résultat ?

Deux questions principales se dégageaient, en lien avec ce que le Gryffondor avait dit : soit il demandait pourquoi son futur-lui avait choisi de devenir Mangemort, soit il demandait pourquoi son futur-lui avait retourné sa veste si peu de temps après. La seconde semblait évidemment la plus prometteuse.

Severus pensait déjà connaître les raisons qui le pousseraient vers le Seigneur des Ténèbres : entre son besoin de soutiens haut placés pour obtenir un apprentissage, son dégoût des moldus, sa volonté de restaurer la balance magique en Grande-Bretagne, son désir d'appartenance, son ressentiment à l'encontre de Dumbledore et de ses précieux Gryffondor qui pouvaient aller jusqu'à la tentative de meurtre sans être inquiétés, les raisons ne manquaient pas, il n'avait que l'embarras du choix.

Il avait pensé avoir également déterminé ce qui le pousserait à trahir : il connaissait sa nature, et ce n'était pas celle d'un traître. Pour qu'il trahisse, et surtout si peu de temps après avoir donné son engagement, il avait dû s'estimer d'abord trahi. D'après ce qu'il avait lu dans les journaux, le Seigneur des Ténèbres avait tué personnellement à la fois Regulus et Lily. Severus avait supposé que son futur-lui avait dû y voir une rupture de contrat. Cela suffirait à expliquer son retournement. Mais peut-être y avait-il quelque chose de plus ? Il ne restait qu'à s'en assurer.

« Dans la continuité de ma précédente question, je souhaiterais obtenir une précision : sais-tu pourquoi après avoir choisi de servir le Seigneur des Ténèbres je me suis soudain mis au service de son adversaire ? »

Cette fois encore, le Serpentard se prépara à observer attentivement la réaction du Gryffondor. S'il cherchait encore à lui cacher quelque chose, il avait bien l'intention de lui rappeler qu'ils s'étaient tous les deux moralement engagés à faire preuve d'une semblable sincérité, et que Severus, lui, avait joué le jeu. Et pourtant, Circé savait ce que ça lui coûtait.

Severus ne savait pas à quoi il s'attendait au juste, mais certainement pas à la réaction qu'il obtint. Le Gryffondor blêmit, et lâcha une exclamation à la limite du gémissement.

« Pourquoi a-t-il fallu que tu poses justement cette question? »

Severus se sentit décontenancé par cette apostrophe directe. Il s'était attendu à ce que Potter Junior devienne plus hostile après avoir été coincé avec l'obligation de révéler ce qu'il voulait dissimuler, mais il n'avait jamais pensé qu'il aurait une quelconque raison de sombrer dans la détresse au point de se cacher la tête dans les mains. Qu'est-ce qui pouvait le bouleverser à ce point ? Et en quoi pouvait-il être impliqué dans cette réponse ? A l'époque où son futur-lui avait trahi Voldemort pour Dumbledore, Harry Potter n'était encore qu'un nourrisson !

Severus regretta presque d'avoir posé la question. Presque. Il pressentait que la réponse n'allait pas du tout lui plaire. Mais il avait toujours préféré rassembler autant d'informations que possible, car c'était la clé pour prendre des décisions valides. Parfois, ces informations venait avec un prix douloureux à payer. Mais c'était ainsi que ça fonctionnait. Lorsque l'on voulait vivre dans la réalité telle qu'elle était et non dans un monde édulcoré, il fallait accepter toutes les informations, si pénibles soient-elles.

« Ce que j'ai appris, sur les raisons de ton changement de camp ce n'est pas toi qui me l'a dit. Enfin pas vraiment... J'étais là quand... quand tu es mort... et... tu m'as confié tes souvenirs. Ce que je vais te raconter c'est ce que j'ai vu de tes souvenirs. »

Le Serpentard fut traversé par une nouvelle hésitation. S'il saisissait bien ce que l'attitude du Gryffondor impliquait, il avait censuré sa réponse précédente non pour se préserver lui-même mais pour préserver Severus. Or, le Gryffondor avait été très clair quant à la haine qu'il vouait à son ancien professeur de potions. S'il avait quand même voulu lui épargner cette explication, c'est que ses implications devaient être vraiment, vraiment, vraiment mauvaises.

Mais il ne chercha pas à l'arrêter, et l'instant d'après, Potter Junior commençait son récit.

Et quel récit.

Il avait... Lui... Il avait...

« J'ai causé la mort de Lily. »

Sans vraiment le réaliser pleinement sur le moment, il avait exprimé sa pensée d'une voix blanche mais audible, cela lui paraissait tellement absurde qu'il lui avait fallu le prononcer pour que la réalité de ce qu'il venait d'entendre s'ancre en lui.

Il savait qu'il y avait bien d'autres éléments à retenir du récit du Gryffondor, des éléments qu'il lui faudrait plus tard analyser et assembler avec d'autres pour reconstituer les évènements, mais pour l'instant, il était incapable de penser à autre chose qu'à la tragique ironie à laquelle il était apparemment destiné. Il allait causer la mort de sa meilleure amie, celle qui l'avait peut-être trahi mais qui avait avant à de multiples reprises sauvé sa propre vie en étant là pour lui quand il ne voyait plus rien à quoi s'accrocher. Totalement involontairement, par un concours de circonstances totalement improbable, il conduirait le Seigneur qu'il avait choisi de suivre pour bâtir un monde meilleur à tuer celle qui lui avait appris ce que c'était qu'aimer.

C'était absurde.

Ça ne pouvait pas être vrai.

Et pourtant ça l'était.

Le garçon avait dit la vérité, Severus le savait.

Ayant complètement oublié toute notion concernant la nécessité de l'impassibilité, ce fut lui qui cette fois se prit la tête dans les mains, submergé par la détresse qu'il ressentait, se sentant dans l'incapacité totale d'intégrer ce fait. Il perdit toute notion de ce qui se passait autour de lui, mais au bout d'un moment, il entendit la voix du fils de Lily.

« Je ne vais plus te poser des questions. Je crois qu'il vaut mieux arrêter ce jeu là. Je voudrais juste rajouter que ce que je t'ai dit, je ne l'ai dit à personne et je ne compte pas le faire. Je sais ce que Lily représente pour toi, tu m'as tout montré. Je ne voulais pas te le dire je l'avoue. Je ne voulais pas que tu saches que je connaissais ton plus grand secret mais même si tu dois avoir du mal à le croire il est en sécurité avec moi et... je te suis reconnaissant pour ce que tu vas faire pour moi. Je n'ai jamais pu te le dire et je le regrette. »

Severus ne savait pas quoi répondre. Il n'était même pas certain d'avoir saisi tout ce que le Gryffondor avait dit, tant ses pensées étaient embrouillées. Il n'était même pas certain de pouvoir parler.

Mais soudain, il réalisa que celui qui lui parlait de manière si affreusement compréhensive et si terriblement reconnaissante était le garçon qu'il avait rendu orphelin, le garçon qu'il avait privé de la meilleure mère dont on puisse rêver, et il eut un sursaut de fierté. Brutalement, sans le moindre égard pour la douleur qu'il s'infligeait en agissant ainsi, il utilisa son occlumancie pour rassembler toutes ses pensées liées à Lily et les cloisonner à l'écart, ce qui allait lui permettre de se remettre à fonctionner dans un semblant de normalité pendant les instants qui suivraient.

De toute manière, il n'avait pas besoin de se ressaisir complètement, après s'être donné en spectacle de la sorte, il n'aurait aucune crédibilité. Il devait simplement faire en sorte de prendre congé dans un semblant de dignité. Même s'il ne parvint pas à se relever sans légèrement tituber et s'il sentait bien que sa voix était altérée.

« Je crois aussi qu'il vaut mieux en rester là... au moins pour l'instant. J'ai besoin de réfléchir à tout ça. Mais si plus tard tu as envie de poser d'autres questions sur Lily, viens me trouver. Le marché est toujours valable, et je pense te devoir au moins une réponse supplémentaire pour ce que tu viens de m'apprendre. »

Il eut un sourire amer.

« Après ça, je crois qu'on ne risque plus rien, on a forcément déjà évacué le pire. »

Il aurait sans doute dû trouver quelques mots pour remercier le Gryffondor de sa sincérité et de sa sympathie, mais là, il ne pouvait plus. Toute éloquence l'avait déserté, il venait d'épuiser ses dernières réserves.

Il salua simplement le Gryffondor d'un signe de tête, et se détourna pour s'éloigner d'un pas plus lent qu'à son habitude en longeant le lac, se sentant à moitié hébété. Un sacré ménage mental l'attendait. Mais il ne savait pas comment il allait pouvoir gérer la masse de culpabilité qui l'assaillait.

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